Avis
d'expert
Interview de Sonia DOLLFUS, PU- PH au CHU et Université de Caen
Dans un premier temps pourriez-vous vous présenter ?
Je suis psychiatre, Professeur des Universités et Praticien Hospitalier au CHU et à l'Université de Caen. Mes activités se partagent entre des activités de consultation, d'enseignement et de recherche.
Mes activités de recherche portent essentiellement sur les troubles schizophréniques, et plus particulièrement sur l'investigation des bases neuronales dans la schizophrénie. Je les effectue dans l'unité Inserm PhIND (UMR S1237) au centre Cyceron qui est une plateforme de neuro-imagerie cérébrale à Caen.
Mes activités de consultation concernent en partie des expertises dans le cadre de pathologies professionnelles.
Enfin, mes activités d'enseignement sont destinées aux étudiants en médecine et aux internes de psychiatrie, et concernent également la formation médicale continue.
"Les outils digitaux doivent s'insérer au sein de notre pratique quotidienne et
complémenter nos dispositifs existants. Le patient devient plus acteur de sa prise en charge :
il apprend à reconnaître ses symptômes et à y faire face."
Quelles grandes tendances constatez-vous ces dernières années en matière d’évolution de la santé mentale ?
Quels sont les grands défis que doit relever l’hôpital en matière de psychiatrie ?
Les défis que doit relever l'hôpital dans le domaine de la psychiatrie sont importants.
Actuellement, nous avons un déficit de médecins psychiatres. Cela ne concerne d’ailleurs pas que la psychiatrie, ce déficit existe dans toutes les disciplines médicales.
Nous payons l'absence d'anticipation de l'évolution démographique et des départs en retraite des médecins. Beaucoup d'établissements, y compris le nôtre, ont été obligés de fermer des structures, des lits d'hôpitaux par manque de médecins. C’est donc un réel problème.
Le premier défi à relever est d’améliorer l'attractivité pour notre discipline. Cela passe par différentes mesures, l'une d’elle serait par exemple un accès à un statut de praticien hospitalier beaucoup plus rapidement.
Cela passe également par une meilleure reconnaissance de la discipline via davantage de moyens alloués à la psychiatrie, en particulier dans les hôpitaux généraux, où la discipline n'est pas toujours soutenue à la hauteur de ses besoins.
Enfin, le défi, c'est sûrement de renforcer les prises en charge ambulatoires sans pour autant réduire les lits d'hospitalisation.
C'est également réorganiser les soins en créant des structures spécialisées dans tel ou tel domaine de la psychiatrie, sans que cela se fasse au détriment des moyens actuels alloués au secteur.
Pensez-vous que le digital peut être un atout dans la prévention des risques psychosociaux ?
Je suis convaincue que cela peut être un outil extrêmement intéressant, en complément de ce que nous faisons déjà. Je pense en particulier à la détection des troubles, des signes précoces de rechute ou des signes annonciateurs d'une psychose ou d'une dépression. Je pense également aux modalités de prise en charge.
Ce n'est pas un outil qui va se substituer aux psychiatres, on aura toujours besoin de professionnels de santé. Les outils digitaux doivent s'insérer au sein de notre pratique quotidienne et complémenter nos dispositifs existants.
Le digital peut permettre d'améliorer la coordination de tous les acteurs qui interviennent dans une prise en charge ; en général, il y en a beaucoup et l'outil digital permet justement de mettre les professionnels très rapidement en connexion.
Cela permet aussi d'augmenter le lien ou la connexion entre un patient et son thérapeute, avec par exemple un accès du thérapeute on line à l’état de santé de son patient et la mise en place d’une intervention beaucoup plus rapide sans attendre le prochain rendez-vous programmé.
Le digital peut vraiment apporter un plus dans la prise en charge, dans l'évaluation aussi. De plus en plus, des outils digitaux permettent au patient de s'auto évaluer, de remplir des questionnaires, etc. Le patient devient plus acteur de sa prise en charge ; il apprend à reconnaître ses symptômes et à y faire face et cela améliore son engagement dans la prise en charge.
Arrivez-vous à mesurer l’impact des RPS sur votre activité à l’hôpital ?
Ce que je peux dire et ce qui me frappe à chaque fois, c’est que la souffrance au travail s’installe progressivement. Il s’agit d’un processus qui s’installe progressivement et qui va durer des mois, voire des années, pendant lequel la personne, en fait, essaie de lutter contre cette souffrance au travail. Petit à petit, les ressources de la personne s’épuisent et, tout d’un coup les défenses disparaissent totalement et la personne s’effondre jusqu’à ne plus pouvoir se rendre à son travail.
Souvent, nous (psychiatres) intervenons quand la pathologie anxio-dépressive est déjà installée. Malheureusement, nous ne voyons pas les patients au début de ce processus, dans les premières semaines ou mois où s'installe ce processus. Nous voyons les patients trop tardivement lors d’une décompensation anxio-dépressive qui est souvent l’aboutissement de cette souffrance au travail, et là, c’est très compliqué pour la personne de se rétablir, cette période pouvant durer des mois voire des années.
La prévention est à mon avis vraiment fondamentale, c’est un des éléments qui m’a fait accepter de participer à ce comité scientifique, parce que je pense vraiment qu’il y a beaucoup de choses à faire dans la détection des signes précoces de souffrance au travail, afin d’éviter ce décrochage et cette décompensation anxio-dépressive.
Que souhaiteriez-vous comme changement en terme de prévention ?
L’idéal ce serait que toutes les entreprises ou même toutes les institutions publiques aient des outils comme PREVANA, permettant de sensibiliser les agents, leurs salariés, mais aussi les managers sur les risques psychosociaux.
En fait, quand on écoute les histoires des personnes, dans quasiment la majorité des cas il s’agit d’une problématique de management. J’ai le sentiment que les managers ne sont pas suffisamment préparés ou sensibilisés aux risques psychosociaux.